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social politique histoire

Syndicalisme agricole, organisations de lutte ou organisations patronales ?

Syndicalisme agricole, organisations de lutte ou organisations patronales ?

La Confédération CGT vient de rendre public un communiqué appelant ses militants "à aller là où c’est possible" pour construire les convergences revendicatives indispensables pour combattre une politique agricole au service des grands agrariens, forme française des latifundiaires, qui protège la grande distribution et les grands groupes agro-industriels.

https://snjcgt.fr/2024/01/25/la-cgt-appelle-ses-militant·es-a-aller-rencontrer-les-travailleuses-travailleurs-agricoles-les-agricultrices-et-agriculteurs/

La Fédération CGT de l'agriculture et de la forêt a rendu public un communiqué qui explique bien le contexte et propose aux professionnels de la branche des solutions pour sortir de ce carcan.

Le "aller là où c’est possible" mérite un approfondissement qui renvoie à qui est sur quels barrages, pour quelles revendications ?

Il est évident que les relations avec les militants du MODEF et nombre de ceux de la Confédération Paysanne qui savent se mobiliser pour apporter une solidarité concrète aux travailleurs en lutte ou (et) venir avec leur production dans les citées populaires pour que grévistes ou (et) habitants profitent de leurs productions ne sont pas de même nature que les relations avec les accapareurs des aides publiques (PAC et autres indemnités, prêts bonifiés, service privilégiés du système bancaire etc.).

Il est bien clair que sont visés ici la FNSEA et ses appendices du CNJA et autres.
Cela demande de procéder à quelques rappels historiques Les évènements d’avant
-hier et d’hier permettant d’éclairer aujourd’hui et d’aider à tracer une autre route pour demain.

En cette année du 80e anniversaire de la Libération, il faut se tourner vers les années de la collaboration avec l’occupant et ses organisations. L’organisation pétainiste de l’agriculture est structurée par la "Corporation Paysanne" dont les origines remontent à l'agrarisme,idéologie et mouvement social rural de la fin du XIXe siècle porté par un catholicisme intransigeant -aujourd’hui on dit intégriste - fondamentalement antirépublicain, et prônant le rassemblement du "journalier au châtelain" autour de la terre. Ce mouvement trouvera son aboutissement dans l’État français installé à Vichy. C’est la fameuse phrase de Pétain depuis l’hôtel du parc pour prôner ce "retour à la terre" et cette Corporation Paysanne en proclamant "La Terre, elle ne ment pas".

Pour s’y opposer, la résistance paysanne s’organise, alimentant et renforçant les maquis, accueillant les réfractaires au STO, faisant étapes des filières d’évasion, fournissant nombre de FTP et autres combattants. Un ex-député SFIO du Finistère, élu de 1936, qui en 40 a refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain (qui le fera emprisonner en septembre 40 et démettre de ses mandats), François Tanguy Prigent, est un des organisateurs de Libération Nord dans le Finistère, une organisation qui se propose de rassembler les ex-confédérés de la CGT et les militants socialistes rejetant le pétainisme. Il participera activement à la Résistance au titre du Comité d’Action socialiste (officier FFI dans la libération de la Bretagne). Tanguy Prigent va créer dans la clandestinité la Confédération Générale de l’Agriculture (CGA), un syndicalisme agricole proche du syndicalisme ouvrier. Rappelons qu’historiquement, les salariés de l’agriculture et des forêts sont syndiqués à la CGT, l’agro-industrie n’avait pas la dimension d’aujourd’hui.

Il sera ministre de l’agriculture et du ravitaillement à la Libération, il prononcera la dissolution de la Corporation Paysanne, plus que largement compromise dans la collaboration.

C’est lui qui publiera les décrets d’application de la loi portée par Waldeck Rochet donnant un statut au fermage et au métayage, sortant l’immense majorité des paysans et leur famille de la soumission aux hobereaux massivement regroupés dans l’ex-Corporation Paysanne, promis à une épuration qui sera loin d’être réalisée.

La liberté syndicale est rétablie en France par la loi du 12 mars 1946. La CGA convoque un congrès qui sera constitutif de la FNSEA. Il se déroule dans la nuit du 13 au 14 mars 1946. Seuls les agriculteurs exploitant peuvent alors y être adhérents. Lors des élections départementales désignant les délégués à ce tout premier congrès, les moins compromis des anciens de la Corpo Paysanne sont poussés comme candidats de l’ex-appareil pétainiste. Ils obtiennent un tiers des places.

Dès 1947, avec l’aide appuyée des agrariens des grandes plaines céréalières, l’appui de l’église et du MRP (parti conservateur néo chrétien de droite), l’aide discrète de la partie la plus à droite du RPF de De Gaulle, les anciens de la Corporation Paysanne non épurée ressurgissent massivement avec l'aide financière du CNPF (MEDEF d’alors). Ils vont avec tous leurs relais politiques et religieux isoler les "rouges" et s’emparer de l’organisation.

Ce processus va conduire à ce que le congrès de 1953 autorise les propriétaires fonciers non exploitants à adhérer à la FNSEA et y prendre des responsabilités. Cela toujours avec l'aide active des gros céréaliers, en particulier d'Île de France, pour prendre en main les leviers du syndicalisme agricole afin d'en faire des outils du libéralisme agraire. Cette marginalisation des petits agriculteurs du sud et du centre de la France, surtout des métayers et fermiers, va les conduire en 1959 à fonder le MODEF, organisation calée sur des bases progressistes où cohabitent des militants communistes, socialistes et anarchisants.

Si l’Église a eu un rôle idéologique décisif au côté des partis de droite pour faire revenir les non-épurés de collaboration, n’oublions pas le Crédit Agricole, bras séculier financier tenu par l’agro-industrie et les grands propriétaires fonciers, chargé de l'étranglement des petits et de ceux qui refusaient de se plier au dogme qui se construisait autour du marché commun, du libre-échangisme et l'arrivée de la PAC captée pour 80% de ses aides par 20% des plus riches agrariens.

Comble de duplicité: ceux qui stérilisent la production vivrière de leurs terres pour faire du fioul de colza qui alimente leurs engins ou pour spéculer avec la bourse de Chicago se servent de la détresse de ceux qu’ils ont exclus du tour de table et que l’UE tente de finir de liquider, pour le plus grand profit des Auchan, Leclerc, etc, des grands groupes de l’agro-industrie aux méthodes quasi-terroristes de gestion de leur salariés et des petits producteurs. Ce sont ces petits producteurs, au bord de la ruine sociale et économique, que tentent de sauver le MODEF et la Confédération Paysanne, avec, pour cette dernière, les limites de comportements et de déclarations parfois surprenants face à l’UE et la PAC.

Voilà qui donne un éclairage pour regarder avec qui construire et éclairer sur ce "aller là où c’est possible".

Le MODEF, oui à coup sûr. La Coordination Paysanne oui. Mais, là où sont les héritiers de la pétainiste Corpo Paysanne et le MEDEF, pas question.

https://pagesaideesrouges.wordpress.com

 


 

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