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C'était il y a 49 ans jour pour jour, le 25 avril 1974 exactement, La Révolution portugaise dite la Révolution des oeillets allait abattre le régime fasciste qui régnait depuis un demi siècle.
Ce jour là, les casernes du Portugal sont en apparence calmes. Pourtant, des militaires sont prêts à en découdre avec la dictature, qui charrie misère et répression. Marcelo Caetano, l’héritier politique de Salazar, s’entête dans la folie meurtrière des guerres coloniales où les jeunes ne veulent plus mourir. Le régime est à l’agonie mais reste redoutable.
Il n’est pas encore minuit, ce 25 avril 1974, lorsque retentit à la radio E Depois do Adeus (Et après l’adieu), de Paulo de Carvalho – la chanson qui a fait un flop à l’Eurovision. Mais, ce 25 avril, elle a une autre portée. À son écoute, les visages des militaires se crispent et les respirations se font plus haletantes. La mélodie est un premier code pour les capitaines. Et puis soudain, Radio Renascença, la radio de l’épiscopat, l’un des trois piliers du régime, diffuse un autre chant : « Grândola, ville brune/Terre de la fraternité/Seul le peuple ordonne/En ton sein, ô cité (…) À chaque coin de rue un ami/Sur chaque visage, l’égalité/Grândola, ville brune/Terre de la fraternité/Terre de la fraternité/Grândola, ville brune/Sur chaque visage, l’égalité/Seul le peuple ordonne. »
Ces vers ont été écrits en 1964, à la suite d’un séjour de l’artiste José Afonso, dit « Zeca » Afonso, dans cette ville de l’Alentejo, région du sud du Portugal. Ils sont frappés du sceau de la censure salazariste.
Pas de doute possible ; c’est le signal attendu par les militaires, qui grimpent dans leurs tanks et filent en direction de Lisbonne. L’opposition politique, du moins celle qui n’est pas derrière les barreaux, et le peuple sont présents dans la rue. L’effervescence populaire est à son comble. Les étals des vendeuses de fleurs sont remplis d’œillets. On les offre aux militaires, on les glisse dans les canons des fusils.
Cette révolution, qui n’en était alors qu’à ses balbutiements, a trouvé son nom. En quelques jours, la dictature est défaite sans presque aucune effusion de sang. Le Mouvement des forces armées s’emploie à appliquer un programme qui n’est pas sans soulever de profondes dissensions en son sein : démocratie, développement, décolonisation.
Quant à la chanson Grândola, la terre brune comme la peau tannée des paysans, elle s’est imposée comme l’hymne de la révolution des œillets, une ode à la contestation de l’ordre établi. Pourtant, lorsqu’elle fut rédigée, elle n’avait pas vocation à devenir un tel symbole. L’auteur souhaitait remercier la société musicale Fraternité ouvrière de Grândola pour l’accueil qu’elle lui avait réservé lors d’un concert. Ce n’est qu’en 1971, lors de l’enregistrement de la chanson, que « Zeca » muscle ses vers.
Professeur, il exerce au Mozambique et au Portugal avant d’être expulsé du corps enseignant pour des motifs politiques. Artiste bohème, il dénonce la pauvreté des exploités. Il est dans le collimateur de la Pide, la redoutable police politique, qui le traque et le jette en prison en 1973.
Deux ans plus tôt, lors d’un concert au château d’Hérouville, il a remporté un succès en entonnant sa célèbre chanson, expression de résistance à la dictature. Elle est aujourd’hui érigée au rang de patrimoine national. Et après l’adieu, peut-être moins connue sous nos contrées, est elle aussi devenue un référent pour les Portugais.
« Seul le peuple ordonne ! »
Depuis 1974, à chaque commémoration célébrant le 25 avril, Grandôla est sur les lèvres de toutes les générations. Le 1er Mai, les défilés scandent ce poème dépourvu de musique mais rythmé par le bruit de bottes et la puissance d’une chorale composée exclusivement de voix masculines. La ville de l’Alentejo a inauguré, en 2012, un monument à la gloire de ces strophes gravées sur de la faïence et assorties d’un œillet rouge comme ceux brandis en 1974 au cri de « Fascisme plus jamais ! ».
Plus récemment, les manifestations monstres contre l’austérité, dans la foulée de la crise économique de 2008, ont, elles aussi, repris les fameux couplets. Alors que le pays est sous la coupe du FMI, de la Banque centrale et de la Commission européennes, les jeunes ont intimé l’ordre à la troïka de dégager : « Seul le peuple ordonne ! » se sont-ils plu à rappeler aux technocrates en costume noir et attaché-case. À l’époque, le gouvernement de droite du premier ministre Pedro Passos Coelho entreprend de dépecer les rares conquis sociaux de la révolution qui subsistaient encore.
En février 2013, tandis qu’il prend la parole depuis la tribune de l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, des manifestants perchés dans les galeries l’interrompent durant de longues minutes. Ni chahut ni brouhaha, mais un chant à la gloire de la terre fraternelle de Grândola.