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Les décombres de l’hôpital Kamal-Adwan, après des frappes israéliennes, à Beit Lahya, dans la bande de Gaza, le 16 décembre 2023. MAHMOUD SABBAH / ANADOLU VIA AFP
Le parvis de l’hôpital Kamal-Adwan, à Beit Lahya, dans le nord de la bande de Gaza, n’est plus qu’un labour informe, un champ de ruines où se mêlent détritus, restes de tentes, parpaings et fers à béton.
Samedi 16 décembre, après le retrait de l’armée israélienne, le reporter de la chaîne qatarie Al-Jazira, Anas Al-Sharif, a filmé des Palestiniens y errant, à la recherche des dépouilles de leurs proches.
« Je ne sais comment vous décrire cette scène. Des corps par dizaines ! Les bulldozers leur sont passés dessus et sont partis », s’exclame le journaliste en promenant son objectif sur des monticules de terre beige, d’où émergent des morceaux de cadavre.
Un peu plus loin, un homme pleure. Il est venu chercher son fils blessé qui s’était réfugié dans cet hôpital et il ne le trouve pas. Un autre Palestinien désigne la pharmacie entièrement détruite et les bureaux de l’administration de l’hôpital qui ne tiennent plus debout. « Les bulldozers ont enterré vivants les déplacés et les malades », affirme-t-il devant la caméra.
Le Monde n’a pas pu vérifier ces affirmations de manière indépendante. Gaza est toujours assiégée et coupée du monde, les journalistes étrangers ne peuvent y accéder.
Mais le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a relayé les accusations du reporter d’Al-Jazira dans son rapport du samedi 16 décembre. « Selon des premiers comptes rendus dans les médias et des enregistrements vidéo, un bulldozer de l’armée israélienne a écrasé les tentes d’un certain nombre de déplacés qui étaient à l’extérieur de l’hôpital, tuant et blessant un nombre non confirmé de personnes », écrit l’agence des Nations unies.
« Je crois qu’il y avait des cris. Nous ne sommes pas sûrs, car nous n’étions pas autorisés à regarder. Tous ceux qui bougeaient se faisaient tirer dessus », a précisé de son côté le docteur Hossam Abu Safiya, de la direction médicale de l’établissement, lors d’une conférence de presse à l’extérieur de l’hôpital, interrompue par les tirs nourris des snipers, lundi.
L’assaut des soldats israéliens sur l’hôpital, justifié par l’état-major, par la nécessité d’y traquer des membres du Hamas, a débuté le 12 décembre et a duré quatre jours. Il a été précédé d’une semaine de siège et de bombardements.
L’établissement est le seul qui desservait encore la pointe nord de la bande de Gaza. Le directeur de l’hôpital, Ahmed AlKahlout, a été arrêté avec des dizaines d’autres hommes. Selon le docteur Abu Safiya, certains membres du personnel ont été frappés et se sont fait tirer dessus. « Cinq d’entre eux ont été blessés », a rapporté le médecin.
« Les rats sont rentrés »
Les soldats israéliens ont d’abord appelé « les familles de déplacés et les malades âgés de 16 à 65 ans à sortir de l’hôpital, a raconté l’un des médecins, Ahmed Al-Khalot, à la caméra de l’agence de presse Reuters.
Le jour d’après, ils ont commencé à fouiller l’hôpital. Ils ont emmené les membres des équipes médicales et les blessés, un par un, pour les interroger ». Désignant un point à l’extérieur de l’hôpital, il ajoute : « Il y avait six corps là, et un patient de 60 ans était décédé, en haut. Ils les ont pris, je ne sais pas ce qu’ils en ont fait. »
Une autre soignante, Wafa Al-Bus, a montré à Al-Jazira des patients allongés sur le sol, entassés dans les salles de l’hôpital dévasté. En plus des tirs, les médicaments, la nourriture et l’eau ont commencé à manquer, explique-t-elle.
Selon deux employés de l’hôpital, les soldats israéliens ont lâché des chiens sur les patients et le personnel.
« Les rats sont rentrés, on sentait l’odeur des corps en décomposition… Tout cela nous a beaucoup affectés, des blessés mouraient devant nous et nous ne pouvions leur apporter les soins nécessaires, voire les atteindre ! », regrette Wafa Al-Bus.
L’hôpital est aujourd’hui hors service. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’au moins huit patients dont une fillette de 9 ans y sont morts. « De nombreux personnels de santé ont été arrêtés, et l’OMS et ses partenaires cherchent de toute urgence des informations sur leur statut », écrivait, dimanche, le directeur général de l’organisation, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, sur le réseau social X. Selon lui, les patients ont dû évacuer seuls, les ambulances ne parvenant pas à atteindre l’établissement.
L’armée israélienne affirme avoir trouvé des armes et des munitions à l’intérieur de l’hôpital et avoir arrêté 90 personnes. Elle a publié une vidéo montrant de jeunes Gazaouis, torse nu, déposer un à un des armes de poing à terre. Le docteur Hossam Abu Safiya affirme avoir vu les militaires donner aux déplacés des armes légères, avant de les filmer puis de les relâcher.
Israël a aussi diffusé un interrogatoire filmé du directeur de l’hôpital Kamal-Adwan. Ahmed Al-Kahlout y affirme être membre du Hamas, tout comme une quinzaine de membres du personnel, et explique que des dizaines de responsables politiques et militaires du mouvement se sont cachés dans son établissement. Il laisse entendre qu’un soldat israélien, capturé par le Hamas, a été transféré à un moment dans l’une des salles.
La guerre à Gaza, lancée en représailles à l’attaque du Hamas en Israël qui a tué 1 140 personnes le 7 octobre, a fait plus de 19 500 morts, selon le ministère de la santé local – sans compter les milliers de corps toujours sous les décombres.
Les hôpitaux, qui bénéficient d’une protection renforcée en droit international, sont pris pour cible. L’Etat hébreu affirme y traquer le Hamas. L’armée y cherche aussi des informations sur les otages encore retenus à Gaza.
Les destructions et l’impact sur les populations civiles sont disproportionnés au regard des résultats affichés par les militaires.
Dimanche, au lendemain du retrait des troupes Israéliennes de l’hôpital Kamal-Adwan, l’armée a pris le contrôle de l’hôpital Al-Awda, le seul encore en fonction dans le nord de la ville de Gaza, après douze jours de siège. Là encore, rapportait l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui a des équipes sur place, « les hommes de plus de 16 ans ont été sortis de l’hôpital, déshabillés, attachés et interrogés – six des membres de MSF étaient parmi eux ».
Des dizaines de patients dont quatorze enfants sont encore à l’intérieur, écrivait l’ONG dans un communiqué publié mardi. Le directeur de l’hôpital, le docteur Ahmed Muhanna, a été arrêté. L’établissement avait déjà été attaqué à plusieurs reprises. Des soignants ont été tués dans des explosions et une partie de l’hôpital est endommagée, notait MSF.
Dimanche et lundi, selon l’OCHA, au moins cinquante-sept Palestiniens ont été tués dans ou aux abords d’Al-Shifa, le plus grand complexe hospitalier de Gaza, dont les services ont été réduits au strict minimum depuis qu’il a été attaqué par l’armée israélienne minovembre.
Une fillette de 12 ans a été tuée dimanche et deux autres enfants ont été blessés dans une attaque sur l’hôpital Al-Nasser, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.
Mardi, l’hôpital Al-Ahli, dans la ville de Gaza, a cessé de fonctionner. L’armée avait assiégé l’établissement la veille au soir et arrêté plusieurs médecins, infirmiers et blessés. En tout, selon l’ONU, moins d’un tiers des hôpitaux de la bande de Gaza sont partiellement opérationnels.
A la violence et la fréquence des assauts, s’ajoute la difficulté de les documenter.
L’armée israélienne a divisé l’enclave en plusieurs zones, isolées les unes des autres.
L’attaque contre l’hôpital Kamal-Adwan a eu lieu alors que les communications étaient coupées. Les organisations de défense des droits humains sont incapables d’effectuer leur travail de terrain sous les bombes. « Beaucoup de gens nous expliquent comment ils ont été empêchés de rejoindre des zones de secours ou des hôpitaux pour faire soigner les membres de leur famille blessés, a rapporté Cyril Blin, directeur des opérations de la Fédération internationale pour les droits humains, lors d’une conférence de presse, tenue lundi à Paris. Nos collègues avancent au jour le jour, en documentant, en récupérant les témoignages et les preuves matérielles. Mais c’est encore très parcellaire. »
Par Clothilde Mraffko (Jérusalem, correspondance)